dimanche 20 janvier 2008

PREMIERE PAGE D’ECRITURE

J’ai grandi avec l’injonction de ne pas gâcher. Aussi c’est naturellement que je récupère du papier de brouillon pour les dessins libres de mes élèves. En général ce sont des tirages de photocopies apportés par les parents, sauvés in extremis de la poubelle. Donc des feuilles comportant un texte sur une face seulement.

Je me suis vite rendue compte que si cela choque (un peu) certains autres parents qui préfèreraient recevoir en fin de journée des dessins réalisés sur de belles feuilles blanches qu’ils prendraient plaisir à encadrer, par contre les élèves sont très motivés par ce matériau.

J’ai remarqué qu’ils utilisaient sciemment le coté imprimé pour tracer des arabesques entre les lignes, colorier certaines lettres, faire des petits traits qu’ils appellent « signature ». Tout enseignant ressent avec une émotion immense ce moment où son petit élève brandit une feuille en criant : regarde j’ai écrit … . Une émotion semblable à celle qu’on vit devant les premiers pas de ses propres enfants ou leur premier éclat de rire.

Un jour, j’ai trouvé sur un trottoir un vieux bureau d’écolier, de petite taille, avec un pupitre et sa chaise assortie. Cela m’a donné une idée. Je l’ai nettoyé, encaustiqué et apporté en classe. J’ai glissé des feuilles et un crayon à l’intérieur et ai proposé à mes élèves de Petite Section le travail suivant :

Quand j’ai envie d’écrire, je pose mon étiquette prénom sur le petit bureau qu’on appelle écritoire.
Je soulève le plateau.
Je prends une feuille et le crayon à papier.
Je pose ma feuille dans un sens ou dans l’autre et j’écris ce que je veux.
Quand j’ai terminé, je demande à la maîtresse d’écrire en haut « ma première page d’écriture libre » et en bas mon prénom avec la date.
Après je peux ranger la feuille dans mon casier et replacer mon étiquette.

Spontanément, ils sont venus, sans qu’il soit nécessaire de les y pousser, lorsqu’ils en avaient le temps et l’envie. Aucune dispute autour de l’écritoire. Chacun respectait le copain pendant son travail d’écriture et attendait que la place soit libre pour s’y installer. Avec le sérieux d’un pape, ils se tenaient droit et écrivaient comme des grands.

Si bien qu’une stagiaire un jour s’est étonnée que ce ne soit pas lisible …. Evidemment à 3 ans on ne sait pas écrire, au sens propre du terme. Mais on sait déjà –si on a observé des adultes- qu’écrire c’est tracer des signes de haut en bas et de gauche à droite, sur une page, avec un outil qu’on appelle « outil scripteur », terme qui désigne aussi bien le crayon que le stylo que le feutre ou le pinceau …

J’ai du récolter plusieurs centaines de pages tout au long de l’année qui ont toutes les caractéristiques de l’écriture. Sans aucun rapport avec des dessins libres ou ce que les enfants eux-mêmes appellent des crapouillages (pour gribouillages). Je suis certaine que les élèves avaient réussi à faire parfaitement la différence.

L’écrit avait sa place dans la classe. J’encourageais toutes les initiatives. Je commentais mes propres gestes lorsque j’écrivais devant eux. Et jamais je n’ai déchiré une de leurs productions en la jugeant indigne. Lorsque c’était particulièrement « loupé » je proposais de recommencer plus tard et ensuite l’élève choisissait le travail qu’il estimait le meilleur pour le conserver dans son classeur. Je le félicitais largement devant les parents de manière à ce qu’ils comprennent eux aussi ce qui était attendu.

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